Agroforesterie : 10 ans d’expérience à prolonger.
L’agroforesterie pourrait constituer le symbole d’une agriculture résiliente, mais, après 10 ans de recul dans l’Eure, le chemin reste encore à débroussailler. D’individuel au départ, le dossier est désormais partagé, ce qui facilite l’accumulation de références. Porté par l’ADAN (Association pour une Dynamique Agroforestière en Normandie), il bénéficie de l’appui des Chambres d’agriculture.
L’aventure a démarré il y a 13 ans. Pierre Gégu, agriculteur à Villiers-en-Desœuvre (27), a entamé la réflexion (2 années avant de se lancer) avec son voisin. « Mon idée était de retrouver un équilibre faunistique et paysager », se souvient le président de l’ADAN. Plus d’une décennie plus tard, une cinquantaine de chercheurs, techniciens, agriculteurs, élus de collectivités locales et territoriales (...) s’est retrouvée sur sa parcelle, le 30 septembre dernier, pour mesurer le chemin parcouru. Quelques réponses, mais encore beaucoup de questions « sur un sujet qu’il a fallu débroussailler. L’agroforesterie n’est pas un dogme. Chaque parcelle doit être expertisée, car il n’existe pas de solution unique », a insisté en préambule Gilles Lievens (président de la Chambre d’agriculture de l’Eure), histoire de planter le décor.
Un autre pas de temps
Se lancer dans l’agroforesterie intraparcellaire constitue un engagement à long terme. « On part pour 50 ans, alors il faut penser d’emblée à la transmission », a souligné Yann Pivain. Le conseiller agroforesterie et biodiversité à la Chambre d’agriculture de l’Eure a retracé les grandes étapes de l’aventure à laquelle il collabore depuis le début. « Initiation en 2009 avec une dynamique qui se met aussitôt en place. 2010 : premières plantations à Villiers-en-Desœuvre. 2012 : premières réunions d’information. 2015 : année charnière avec un voyage en Charente-Maritime et dans le Gers pour aller voir une plantation 40 ans après. 2016 : création du GIEE agroforesterie en Normandie qui court jusqu’en 2030... ». L’heure n’est pas au bilan, mais, dans ce pas de temps d’un demi-siècle, quelques enseignements sont déjà à retenir. « La conception doit passer par une analyse fine des conditions pédoclimatiques pour planter la bonne essence au bon endroit. Privilégier des plants jeunes. Protéger avec filet et paillage (+ 150 % de pousse) avec vérification annuelle. Tailler régulièrement pour des questions d’ergonomie et d’agronomie (...) », au chapitre des incontournables. « Du temps de travail supplémentaire, reconnaît Pierre Gégu, mais c’est une satisfaction que de réentendre les oiseaux et observer tous les colonisateurs ».
Et côté rendement ? « Les arbres tamponnent les excès climatiques : -3 à -6o C en période caniculaire. La valeur alimentaire des prairies est meilleure avec plus de MAT (Matière Azotée Totale) et une plus grande digestibilité », a dévoilé Camille Béral, chargée de recherche agroforesterie chez Agroof. En céréales, on constate « un effet brise-vent. Les quelques références obtenues donnent matière à réflexion, mais ces résultats sont peu ou pas généralisables ».
Mais s’il ne s’agissait là que de l’arbre qui cache la forêt ? Si l’on considère la valeur patrimoniale du bois d’œuvre combinée à la captation carbone potentiellement valorisable, la rentabilité économique de l’agroforesterie est à envisager sous un autre angle. On pourrait même y ajouter le capital sympathie que pourrait générer cette pratique auprès du grand public. Mais sur ce point, il y a encore un gros travail de sensibilisation et d’information à réaliser en amont. Personne n’est encore venu féliciter Marc Gégu pour son initiative... En attendant la suite : investiguer un peu plus le secteur de l’élevage avec l’arbre fourrager qui se déguste 3 fois par an.