Daniel COURVAL, président de la section bovine de la FRSEA de Normandie.
« J'invite la Première ministre sur une exploitation de sa circonscription »
La Première ministre a dévoilé sa stratégie de planification écologique. Le même jour, la Cour des comptes a publié un rapport sur les soutiens publics dont bénéficie l'élevage. Elle recommande de réduire de façon maîtrisée le cheptel bovin pour atteindre les objectifs de la France en matière d'émissions de méthane, un puissant gaz à effet de serre. Les réactions sont nombreuses. Le point avec Daniel Courval, président de la section bovine de la FRSEA de Normandie.
La présentation des objectifs de décarbonation de l'économie par la Première ministre et le rapport de la Cour des comptes ont fait l'effet d'une bombe. Quelle est votre réaction ?
C'est de l'indignation et de la colère. De l'indignation car, une fois de plus, des technocrates totalement ignorants de l'élevage se permettent des recommandations sans aucun lien avec la réalité. Et de la colère car on manque encore de respect aux éleveurs et à toute une filière qui ne ménagent pourtant pas leurs efforts pour satisfaire les attentes de la société. C'est l'élevage dans son ensemble qui est menacé. Ces recommandations préconisent l'abandon de l'élevage, de la diversité de nos paysages, bref, c'est l'abandon de la ruralité et c'est inacceptable.
Pourtant, l'agriculture, et donc l'élevage, ne peut pas passer à côté de sa part dans l'effort de décarbonation de l'économie ?
Il n'est pas question de s'exclure du débat et de l'enjeu climatique. Mais il faut regarder la réalité en face. Elle est que le cheptel bovin a perdu 15 % de ses effectifs depuis 2009 et que cela ne s'arrange pas. En Normandie, nous comptions 3,2 millions de bovins en 1975, 2 millions en 2020, soit une baisse de 37 %. Alors il est temps d'arrêter de vouloir reporter sur les bovins les causes du réchauffement climatique et des émissions de gaz à effet de serre.
Que reprochez-vous à ces recommandations ?
Outre qu'elles sont hors sol, je leur reproche d'être contradictoires. On veut des prairies, mais pas de bovins, on veut des engrais organiques, mais pas de bovins, on veut du gaz renouvelable via la méthanisation, mais pas de fumier pour le produire. Je peux continuer longtemps comme cela. Vraiment cela suffit, ces technocrates déconnectés qui n'ont aucune légitimité pour s'exprimer sur ces sujets qu'ils ignorent devraient se taire.
On ne peut pas être contre le développement des énergies solaires ?
Bien sûr, mais cela doit-il passer par la couverture de toutes les prairies les moins productives en panneaux photovoltaïques ? Parce que c'est le chemin que préconise la Cour des comptes : retourner les prairies labourables et couvrir les autres de panneaux solaires. Il y a vraiment mieux à faire en la matière.
La Cour prétend qu'en limitant la consommation de viande à 500 grammes par semaine, on peut tenir les objectifs. Qu'en pensez-vous ?
Que c'est une belle illustration de ce que je dis : ces gens ne savent pas de quoi ils parlent puisque l'on est déjà en dessous de ce seuil de 500 grammes en moyenne par semaine. Et si on ne les produit pas, nous les éleveurs français, vous croyez que les consommateurs vont arrêter d'en consommer ? Bien sûr que non et les restaurants et les magasins n'auront d'autre choix que d'importer plus de viande étrangère pour satisfaire leurs clients. On préfère encore se cacher derrière des importations pour prétendre à la vertu et laisser les autres augmenter leurs émissions. Le tout au prix de la déforestation. C'est totalement irresponsable.
Qu'attendez-vous du gouvernement ?
De la clarté. Il y a de quoi faire parce qu'on le voit beaucoup souffler le chaud et le froid, tel son ministre de l'économie qui promeut la viande cellulaire. On aurait pu espérer que la Première ministre fasse preuve de transversalité dans ce débat en appréhendant la question sous tous ses aspects. Nous en sommes loin. Je n'oublie pas qu'elle est aussi élue d'une circonscription rurale où on élève des bovins. Je l'invite à y venir plus souvent, à rencontrer ses éleveurs-électeurs pour se rendre compte de la réalité. Il y a de l'ordre à remettre dans cette cacophonie.