JEAN-MARIE LENFANT, président délégué alimentation circuits courts Bienvenue à la Ferme à l’APCA.
Diversification : une clé pour demain.
En charge de l’alimentation, des circuits courts et du réseau Bienvenue à la Ferme à l’APCA (Association Permanente des Chambres d’agriculture), Jean-Marie Lenfant transforme à La Couture-Boussey du colza et du tournesol en huile, du blé en farine et plus si affinité. Le vice-président de la Chambre d’agriculture de l’Eure considère que la diversification est une des clés de demain. Il revient également sur la crise sanitaire par l’autre bout de la lorgnette.
Qu’est-ce que Bienvenue à la Ferme ?
C’est une marque des Chambres d’agriculture qui existe depuis plus de 30 ans et qui fédère 8 000 adhérents au niveau national, dont 400 en Normandie et une centaine dans l’Eure. L’objectif initial était d’accompagner les agriculteurs désireux de se diversifier en se tournant vers l’hébergement à la ferme, la restauration et les produits fermiers ou bien encore les fermes pédagogiques par exemple.
Comment ce réseau a-t-il traversé la crise sanitaire ?
Ceux qui recevaient du public ont particulièrement souffert. Je pense aux fermes pédagogiques, aux loueurs de salles de réception, aux fermes équestres... Même s’ils se sont un peu refaits durant l’été, la perte de chiffre d’affaires peut dépasser les 50 000 e sans aucune aide de l’État parce qu’ils ne cochent aucune case code APE. Autre élément d’inquiétude : toujours pas de visibilité à court terme.
Et pour les autres ?
Ceux qui font de la vente directe s’en sont mieux sortis. Nous nous sommes battus avec les Chambres d’agriculture pour demander aux préfets la réouverture des marchés avec une règlementation adaptée. Parallèlement, nous avons accompagné ceux qui avaient besoin, par exemple, de code-barre pour commercialiser leurs produits via la grande distribution...
Cette crise sanitaire pourrait mettre à mal certaines trésoreries ?
Il sera important de dresser un bilan comptable le moment venu, mais ce ne sera pas facile, car les chiffres de ces activités sont bien souvent mélangés aux autres. Cela dépend aussi si l’on prend en compte ou pas le temps de travail inhérent à l’activité Bienvenue à la Ferme.
À titre personnel, comment avez-vous traversé cet épisode ?
Je commercialise de l’huile et de la farine issues à 100 % de ma production agricole. Je travaille avec la restauration collective, des restaurants, la grande distribution et de petits magasins de vente directe de produits fermiers. Côté restauration, tout s’est arrêté du jour au lendemain, mais les choses n’ont guère bougé côté distribution. Au printemps, je suis donc allé démarcher de nouveaux clients. J’ai cependant dû appuyer sur le frein avec la farine pour continuer à approvisionner mes clients historiques.
Signalons parallèlement quelques initiatives « drive » qui ont permis d’attirer de nouveaux clients que l’on arrive généralement à fidéliser par la suite à hauteur de 10-20 %. Des consommateurs ont découvert, qu’en proximité, ils étaient parfois voisins d’agriculteurs fabricants de produits de qualité et à des prix accessibles et rémunérateurs pour le producteur.
Quelles leçons retenir de la crise Covid-19 ?
Je ferai miens les mots de mon ami Jean-Pierre Delaporte : « en agriculture, on ne doit rien s’interdire ». Au gré du renouvellement des générations, je suis persuadé qu’un nouvel installé sur deux se tournera vers une diversification adaptée aux circuits courts. On peut trouver de très bonnes idées sur de gros délires à condition qu’elles ne nécessitent pas de gros investissements.
Par exemple ?
Du safran, des chèvres alpaga ou bien encore de l’hébergement insolite comme un lit sur un quai de traite qui ne sert plus à rien (rires).
Il n’y a pas de limite ?
Si bien sûr. Exemple avec les produits d’origine animale. En plus de maîtriser la production, il faut maîtriser la transformation, la commercialisation, la communication... Cela représente beaucoup de travail et de compétences à acquérir comme notamment la maîtrise d’une langue étrangère.
Le réseau Bienvenue à la Ferme ne constitue-t-il pas la meilleure arme contre l’agribashing ?
C’est un des éléments de réponse. Je reçois 4 000 visiteurs par an, dont de nombreux groupes. J’ai ma technique. Je pose mon tabouret au milieu de tout le monde et écoute. Je réponds aux questions bien souvent du genre : « est-ce que c’est vrai ce que j’ai entendu sur BFM ? » Non, je n’arrose pas mon blé avec du glyphosate...
Comment expliquez-vous ce décalage entre la perception et la réalité ?
On ne parle pas assez d’agriculture dans les écoles. On ne fait plus la cuisine... Et puis, il y a ce dogme de la nostalgie qui consiste à considérer que c’était mieux avant. Ma référence, dans ce domaine, c’était mon grand-père. Il m’expliquait qu’en 1920, on partageait la farine et le pain avec les souris et les charançons. Que les toilettes, c’était au fond du jardin, qu’il fallait marcher toute la journée au pas du cheval. Son regret ? Ne pas avoir acheté un tracteur plus tôt.
Des raisons d’y croire encore ?
Dans notre métier d’agriculteur-transformateur-vendeur, on rencontre des milliers de consommateurs qui font preuve de discernement et qui nous font confiance. Alors « oui », il faut y croire et surtout faisons vivre nos chartes de bon voisinage avec les néoruraux.