La solidarité : « faut k’ça pousse » itou.
« Faut k’ ça pousse ». Un solo clownesque d’Olivier Guitel qui, à partir de sa propre expérience d’agriculteur normand, a servi de support de communication à Solidarité Paysans 27 au lycée agricole Gilbert Martin le 2 mars dernier au Neubourg.
Olivier Guitel, alias Raoul Nitrate de père en fils, est un agriculteur conventionnel pas peu fier, et sa mère encore plus, de ses 80 ha en propriété. « C’est mes champs ». Il en a fallu des années de patates pour les payer. Raoul sème du blé aussi. Chaque grain est parrainé par un membre du public. Après, « faut k’ça pousse grâce à la technique au service de l’agriculturisme ». Il irrigue sans compteur d’eau, il dope la photosynthèse a coup de projecteurs, il traite au pulvé jusque dans le public, il lutte contre « les limaces, c’est dégueulasse » et les insectes... Et quand la banque lui rappelle son découvert, il tente de la rassurer en lui certifiant que « cette année, c’est prometteur ». Mais le plus prometteur, ce sont les aides PAC. « 300 000 e sans rien faire ». Il va insulter l’agriculture et écraser les filleuls (Ndrl, les grains de blé) avant que l’administration ne l’informe « de sa déclaration de merde. Vous n’aurez pas les sous de l’Europe. Fraudeur !» SOS terrien en détresse. Raoul Nitrate va bien tenter de se rabibocher avec ses semis, mais en vain. Il quitte le champ de la scène, une paire d’ailes d’ange accrochée dans le dos.
SOLIDAIRE PAS SOLITAIRE
Un spectacle burlesque, mais attachant. On hésite parfois entre le rire et la pitié, la condescendance et l’ironie, mais un spectacle en tout cas qui porte les ferments d’une agriculture qui souffre au quotidien. Le lien était tout trouvé avec les missions de Solidarité Paysans 27 créée en 2018. « La solidarité, faut que ça pousse et pour être solidaire, il ne faut pas être solitaire », a proposé en guise de préambule son président Thierry Mangeart tout en contextualisant le présent. « D’un côté, le monde agricole est en perpétuelle nécessité d’adaptation : nouvelle PAC, sécheresse et crise climatique, conflit en Ukraine, crise énergétique et sortie de Covid ayant entraîné une augmentation significative des charges, agri-basching…
De l’autre, si son système se fragilise, l’agriculteur peut s’isoler, baisser les bras, délaisser la gestion administrative, sombrer dans une spirale de difficultés multiples. Depuis 2018, Solidarité Paysans 27 propose aux agriculteurs qui lui font appel, un accompagnement technico-économique, social, juridique, familial, selon une méthode qui mêle accueil sans exclusive, écoute centrée sur la personne, respect, non-jugement et confidentialité.
Nos bénévoles constatent une obligation : que l’accompagnement intervienne tôt. Il a alors plus de chances de permettre à l’agriculteur de rebondir, de retrouver son autonomie, de reprendre le contrôle de son système. »
MESSAGES A LA RELEVE
A l’occasion de cette soirée théâtre, une présence en force d’étudiants du lycée agricole Gilbert Martin. L’occasion de faire passer quelques messages forts. « L’installation d’un jeune, ce n’est pas la continuité de l’exploitation des parents. C’est un choix personnel. On a trop été au summum de l’obéissance à ce que l’on nous disait de faire », semble regretter Philippe, installé en 1994. Et son voisin d’enchainer, « ce n’est pas parce que c’est la ferme des parents que c’est la bonne ferme. Ce n’est pas parce que l’on a fini sa scolarité que c’est le bon moment pour s’installer ». Entendu également, « prenez le temps d’aller voir ailleurs, entourez-vous de gens impartiaux, armez-vous, informez-vous, la presse agricole est une mine d’or ».
Une soirée similaire, mais ciné-débat cette fois « Les folies fermières » se tiendra ce 16 mars au Neubourg. Elle est proposée par Atex Réagir Solidarité & Accompagnement et a été annoncée par son représentant en clôture d’un débat proposé par Solidarité Paysans 27. La solidarité n’a pas de frontière.