L’avenir du blé caennais : jouer sur les variétés
Le 8 juillet 2022, François Beauvais, docteur en géographie-climatologie au sein du laboratoire IDEES Caen (Geophen) de l’Université de Caen Normandie, a reçu le prix Gérard Beltrando 2022. Une distinction remise par l’Association internationale de climatologie (AIC) qui récompense sa thèse exposant les conséquences du changement climatique sur la culture du blé tendre en plaine de Caen.
« L’agriculture […] est au cœur des enjeux relatifs au changement climatique », peut-on lire en introduction de la thèse de François Beauvais, géographe-climatologue à l’Université de Caen Normandie. Gratifié du prix Gérard Beltrando le 8 juillet dernier, le jeune chercheur présente les conséquences du changement climatique sur la culture du blé tendre en plaine de Caen, ainsi que les pistes à suivre si la région veut pérenniser son rôle dans la production céréalière.
CAEN ? DANS 50 ANS
« Tous les scénarios [de forçage radiatif ndlr] évoluent à l’identique jusqu’en 2050, c’est à dire une augmentation de 1,1°C quoiqu’il arrive », confirme François Beauvais. Après cette date butoir, tout dépendra des efforts investis pour réduire les émissions de GES. Si « nous continuons sur la trajectoire actuelle, les températures annuelles devraient augmenter de 4 °C en moyenne à l’horizon 2100 ». On passerait alors de dix jours de chaleurs par an à 50 en plaine caennaise. Outre les températures, la thèse précise que les précipitations pourraient augmenter de 10 % l’hiver, mais diminueront de 15 % au printemps et de 30 % l’été. Passé 2050, les phénomènes extrêmes de vagues de chaleur et les sécheresses que l’on connaît aujourd’hui deviendront la normalité. Tout est donc déjà joué pour les 30 prochaines années.
DES RENDEMENTS IMPACTÉS…
« Depuis trente ans, il y a une stagnation des rendements », affirme le chercheur. Si aucune tendance à la baisse n’était à déplorer jusqu’à aujourd’hui, il y a une « variabilité interannuelle du climat qui a engendré, en 2016, une chute historique des rendements liée aux fortes pluies engendrant des maladies et au manque de rayonnement », explique François Beauvais. « Ce type de configuration pourrait être plus récurrent d’ici 2100. Ces aléas vont être plus nombreux, plus intenses et plus tôt dans l’année. On pourrait avoir une grande variabilité des rendements d’une année à l’autre », anticipe le géographe-climatologue.
… MAIS PAS LA RENTABILITÉ
Une production en baisse, mais pas de pénurie à l’horizon : « la France exporte la moitié de ses productions et est donc largement en mesure de subvenir à sa demande intérieure ». En revanche, pour le Maghreb, importateur de blé français, il « devra probablement revoir son modèle agroalimentaire et favoriser l’agriculture locale ».
Si l’on peut toujours manger du blé sur l’Hexagone, François Beauvais met en garde : « si la production baisse, le prix du blé augmentera : la farine sera plus chère et la baguette aussi. Par contre le céréalier sera toujours rentable ».
DES CYCLES PLUS COURTS
Des baisses de rendements sur les petites terres et polycultures de printemps commencent à être observées. En cause : l’avancement de certains stades clefs, de « deux semaines » cette année, rapporte le doctorant. Le cycle des plantes s’accélère en réponse au réchauffement climatique, permettant au blé d’atteindre la maturité fin juin. Il éviterait ainsi la sécheresse estivale en fin de cycle, mais l’échaudage serait plus important. De plus, « les stades qui ont lieu actuellement au mois de mai vont arriver en sortie d’hiver : la montaison va avoir besoin de rayonnement pour pouvoir photosynthétiser, mais à cette période les jours sont plus courts », rappelle le chercheur.
UNE VERNALISATION INCOMPLÈTE
Avec la hausse des températures hivernales, les jours de vernalisation diminueront entre décembre et mars, car elles seraient régulièrement au-dessus de la barre des 10° C. Dans le cas où le besoin de basses températures n’est pas satisfait, la plante ne peut enclencher sa montaison et resterait au stade végétatif.
LE BLÉ DU FUTUR
Pour l’agroclimatologue, il faudrait « sélectionner des variétés plus tolérantes, ou les diversifier dans la plaine agricole » pour que, selon les aléas, certaines puissent résister. « Semer des variétés avec des besoins non stricts en vernalisation […] ou d’une trentaine de jours seulement » serait une piste indique le chercheur. D’autres solutions peuvent également être envisagées « en s’inspirant de l’agroforesterie » et en « augmentant la rotation culturale ».
AGIR MAINTENANT POUR 2100
L’inaction coûtera, à terme, plus cher que l’anticipation : « si on se retrouve au pied du mur, ce sera comme pour le covid », constate François Beauvais, « il faudra débourser beaucoup d’argent d’un coup ».
L’ensemble de la filière doit travailler de concert et « la Chambre est une structure qui doit être au centre de ces questions-là », notamment sur la mise en place d’un « plan régional d’adaptation au changement climatique » orienté par une cellule de recherche pluridisciplinaire, composée notamment d’agroclimatologues, recommande François Beauvais. Transposer le travail de sa thèse à l’ensemble des cultures, ainsi qu’à l’élevage, permettrait d’anticiper les conséquences et d’imaginer « des cultures de substitution pour maintenir les débouchés ». Pour cela, il faudrait multiplier les études et sortir « de l’entre-soi scientifique » pour que la « profession agricole puisse s’emparer des résultats » et ainsi « faire de la recherche appliquée au contact de la filière ».
PRATIQUE
L’entièreté de la thèse est disponible sur le site des archives ouvertes HAL à l’adresse : https://tel.archives-ouvertes.fr/tel-03537778