Rencontre avec GILLES LIEVENS, président de la Chambre d’agriculture de l’Eure. Production et environnement.
Les Chambres d’agriculture départementales restent un outil technique de vulgarisation, mais jouent de plus en plus un rôle d’interface entre la profession et la société. « Ne pas opposer production et environnement », invite Gille Lievens.
On parle beaucoup de HVE (Haute Qualité Environnementale), de bilan carbone, d’Ecophyto (...) dans les Chambres d’agriculture. Pourquoi autant ?
L’agriculture euroise et normande doit s’inscrire dans les questions de société et nous ne devons pas rester en marge des attentes des consommateurs parce que nos productions sont essentiellement alimentaires. Ce consommateur aspire à un meilleur respect de l’environnement. Pour maintenir la confiance, nous devons lui donner des éléments tangibles et concrets quant à l’amélioration continue de nos pratiques.
Mais l’agriculture conjugue au quotidien l’environnement depuis des décennies ?
On nous en parle comme d’une nouveauté alors qu’on l’a toujours fait, alors cela nous frustre forcément un peu. Nous sommes les premiers à veiller à la vie de nos sols, à entretenir la qualité et la diversité de nos paysages, à préserver la biodiversité qui concourt à une meilleure maîtrise des ravageurs. L’amélioration de nos pratiques, dans le monde animal comme dans le monde végétal, est continue. Pas brutale, mais constante, pour atteindre la résilience. Peut-être n’avons-nous pas bien su communiquer pour en convaincre nos concitoyens, pour contrer cette opposition stérile entre production et environnement ? Nous parlons depuis longtemps d’agriculture raisonnée, d’agriculture durable. Aujourd’hui, on parle d’agroécologie, mais toute cette sémantique va dans le même sens.
Des efforts d’un côté, mais sans plus-value à la fin. Certains risquent-ils de se décourager ?
Ce meilleur partage de la plus-value, c’est l’espoir que nous avions fondé sur les EGAlim notamment parce que la grande distribution dispose encore d’une bonne marge de manœuvre. Quelques centimes de plus sur un litre de lait ou un kg de viande ne mettront pas en péril le porte-monnaie du consommateur ni la rentabilité de l’enseigne, mais permettraient à l’agriculteur de vivre de son métier et de garantir un approvisionnement, sinon local, du moins français. Mais c’est le contraire qui se passe. Les normes françaises qui nous contraignent ne s’appliquent pas aux produits d’importations. Nous évoluons dans une concurrence déloyale. C’est là que se situe le problème.
Dans toute cette mouvance, les chambres d’Agriculture ne délaissent-elles pas trop l’agriculture dite « conventionnelle » ?
L’agriculture conventionnelle existe-t-elle encore ? C’est un débat de terme. L’agriculture conventionnelle est celle pratiquée par le plus grand nombre, mais il n’y a plus UN modèle agricole aujourd’hui. Les 100 qtx de céréales ou les 10 000 l de lait, ce n’est plus une garantie de marge. L’agriculture conventionnelle aujourd’hui, c’est celle qui prend soin à la fois du revenu et de l’environnement, qui permet à l’agriculteur de vivre de son métier tout en respectant un territoire et ses occupants, qui fournit une alimentation de qualité et en quantité. C’est ce à quoi œuvrent au quotidien les Chambres d’agriculture.
Concernant les phytosanitaires, la séparation de la vente du conseil entre dans le dur. C’est un boulevard qui s’ouvre pour les Chambres d’agriculture ?
Cela devient une obligation et nous nous sommes clairement positionnés sur cet accompagnement. Pas seulement pour que l’agriculteur remplisse ses obligations, mais pour concevoir un outil global de réflexion sur les pratiques culturales. Dans l’Eure, deux conseillers ont été formés et ont déjà mené des audits stratégiques pour ébaucher cet outil. Cela nous a permis de calibrer le temps à y passer et les sujets à aborder. Nous sommes désormais en phase de consolidation pour proposer à terme aux agriculteurs, qu’ils fassent partie ou pas de notre réseau, un conseil stratégique indépendant, une caractéristique qui fait partie de notre ADN.
Ça va coûter combien à l’agriculteur ?
Aux alentours de 400 e je pense, et cet investissement sera un outil concret et utile pour chaque agriculteur.
Disposez-vous d’éléments tendanciels sur le plan de relance ?
Comme partout en France. Nous avons assisté à un engouement sur le volet agroéquipement. Logique, c’est facile et rapide à mettre en œuvre. Investir pour diminuer les doses, par exemple en ayant recours au binage ou à l’agriculture de précision, est moins compliqué que de replanter des linéaires de haies ou s’engager dans une démarche HVE. La Chambre d’agriculture oriente les projets selon les aspirations de chacun et en fonction des appels à projet.