Très cher muguet.
Aujourd’hui, 1er mai, ton odeur subtile ne flotte pas sur les
étals des fleuristes. Tu es à côté des paquets de cigarettes,
d’une bonne bouteille ou d’une baguette tradition mais pas auprès des hortensias et autres roses qui sentent bon le printemps.
Tu as été commandé en ligne et caché dans une camionnette pour ta livraison. Tu n’es pas cajolé mais pris à bout de doigt, enfin de gant. Très cher muguet, comme ce 1er mai est triste…
Un 1er mai surprenant. Les buralistes, cavistes et autres boulangers pourront vendre les petites clochettes blanches devant leurs pas-de-porte car ils font partie des commerces dits « essentiels » mais pas les fleuristes !
Les grandes surfaces pourront vendre des brins de muguet mais pas les fleuristes ! Ah si, en drive ou en livraison. Un véritable manque à gagner pour cette profession souffrant déjà de la fermeture des commerces depuis le 17 mars.
« INADMISSIBLE ET INCOMPRÉHENSIF »
Crise sanitaire du covid-19 oblige, un tas de décrets et d’interdictions ont fleuri ces dernières semaines. A l’approche du 1er mai, fête du travail et fête du muguet, il y a une interdiction qui a dû mal à passer : celle de garder les magasins de fleurs fermés. En effet, les fleuristes sont sous le coup du décret du 23 mars 2020 qui les autorisent à « exercer leur activité uniquement par livraison ou par retrait de commandes » et dans le respect de l’application des mesures barrières. « Les jardineries sont ouvertes mais pas nous », fustigent bon nombre de professionnels eurois. « Les chocolatiers ont eu le possibilité d’ouvrir à l’occasion des fêtes de Pâques. Nous, acteurs de la fleur, n’avons pas cette opportunité. C’est inadmissible. Incompréhensif », lance Sophie Amice-Lerebourg, présidente de la chambre syndicale des fleuristes de Normandie. La profession est « extrêmement en colère. Les commerces qui ont maintenu leurs activités pendant le confinement sont autorisés à vendre du muguet. Pourtant, cette vente appartient aux professionnels. D’autant plus que nous pouvons respecter les normes d’hygiène dans nos petits commerces ».
EN DRIVE OU EN LIVRAISON
Le système D s’organise dans l’Eure. La plupart des fleuristes propose les commandes via téléphone ou internet pour un retrait en drive ou une livraison à domicile. « Il a fallu s’adapter », notent plusieurs professionnels.« Je fonctionne beaucoup via les réseaux sociaux. Il y a 15 jours, j’ai, donc, lancé la vente de muguet sur ma page Facebook. Cela a très bien fonctionné mais ce n’est pas un 1er mai comme les autres »,soupire Aurélie Bouillault de L’atelier d’Aurélie, à Verneuilsur-Avre. Son chiffre d’affaires sur la journée chute de 50 % environ. « En une demi-journée, je réalise, d’habitude, un quart de mon chiffre d’affaires mensuel », enchérit Charlotte Vicaire des Fleurs de Charlotte, à Conches-en-Ouche. Depuis quelques jours, les artisans interrogés essaient de se réapprovisionner. En vain. « Le marché a été ouvert à tous. Les grandes surfaces ont procédé à de fortes commandes. Nous sommes, ainsi, bloqués pour en racheter. Pourtant, nous avions la demande », analyse Aurélie Bouillault. « Nous avons l’impression d’être oublié », note Charlotte Vicaire.
UN PEU DE SOLIDARITÉ
Certains commerçants voisins des fleuristes proposent de vendre ce « porte-bonheur ».« Nous organisons des dépôts chez des collègues qui souhaitent nous aider », rapporte Anne-Elise Heulin des Bouquets d’Anne-Elise à Bernay. « Entre commerçants, on se soutient. Ils vendent pour nous car nous ne pouvons pas nous installer devant notre devanture. Cependant, ce n’est pas normal qu’un buraliste, un boulanger ou autre puisse, cette année, acheter du muguet pour le revendre. Chacun son métier ! », ajoute Aurélie Bouillault.« Nous avons un savoir-faire. Nous ne jouons pas sur la quantité mais sur la qualité. Nous sommes des créateurs. Nos 10 doigts sont notre outil de travail », conclut Sophie Amice-Lerebourg. Cher muguet, cette année aura été difficile, même les vendeurs à la sauvette sont restés confinés.