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Vers une russification des marchés agricoles.

Décapantes, mais pas toujours rassurantes. Telles étaient les interventions entendues dans le cadre de l'assemblée générale de la FRSEA à Caen, mardi dernier.

Anne-Marie Denis, présidente de la FRSEA, Yannick Fialip, Jean-Baptiste Boucher, Thierry Pouch.
Anne-Marie Denis, présidente de la FRSEA, Yannick Fialip, Jean-Baptiste Boucher, Thierry Pouch.
© C.C.

« La sécurité alimentaire est un enjeu essentiel, elle se travaille avec le vivant, elle s'inscrit dans un temps long », a rappelé Yannick Fialip, membre du bureau de la FNSEA. Le thème « concilier souveraineté alimentaire et Green Deal » animait les débats. Si l'affirmation de Yannick Fialip pourrait justifier des décisions rapides, comme Thierry Pouch, économiste à Chambres d'agriculture France, l'a démontré, l'heure de la mobilisation n'a pas encore sonné à Bruxelles. Venu du COPA-COGECA, Jean-Baptiste Boucher a brossé un tableau inquiétant de l'ambiance à Bruxelles. Car ce qui prévaut, malgré les récents évènements de la crise sanitaire puis de la guerre en Ukraine, demeure la mise en oeuvre du Green Deal européen. Il faut entendre par là tout un ensemble de politiques et de stratégies destinées à rendre l'économie et la consommation européennes plus écologiques et en mesure de lutter contre le changement climatique. Et cela va bien au-delà de la communication sur Farm to Fork. « Ce n'est pas la déclinaison agricole du Green deal, cela en fait partie ». Comprenez que l'agriculture sera concernée par beaucoup de directives et règlements tels que la stratégie sur la biodiversité ou la stratégie sur le méthane. On dénombre ainsi pas moins de 27 déclinaisons réglementaires à venir avec des impacts variables sur l'agriculture. Bref, Farm to Fork est un peu la partie visible d'un iceberg qui masque bien des textes qui auront des conséquences sur l'activité agricole.

 

INSECURITE ALIMENTAIRE

Pourtant, « 30 % de la population vit en insécurité alimentaire » a rappelé Thierry Pouch. Une insécurité que la guerre en Ukraine ne fait que renforcer. En réaction à l'incertitude qui plane sur les marchés mondiaux, l'heure n'est plus à l'insouciance d'échanges aussi libres qu'assurés. Elle est au retour à des stratégies individuelles des États qui cherchent à assurer leurs approvisionnements. On voit ainsi l'Inde fermer ses robinets à l'exportation de blé, de même que l'Indonésie avec l'huile de palme. Quant aux importateurs, ils recherchent désespérément des approvisionnements que la flambée des prix rend inaccessible.

D'où l'intérêt de l'initiative FARM (Mission agriculture résilience alimentaire) lancée par la France destinée à assurer l'approvisionnement des pays les plus dépendants des céréales russes et ukrainiennes. Quant à la production agricole européenne, elle aussi souffre de la guerre puisque « l'indice de coût de l'alimentation animale, calculé par l'INSEE, atteint son niveau record depuis sa création après la deuxième guerre mondiale ». Sans parler des tensions sur l'approvisionnement des exploitations en engrais, notamment pour la campagne 2023.

 

ET PENDANT CE TEMPS, A BRUXELLES

On pourrait penser que ce noir tableau alerte les instances européennes. Jean-Baptiste Boucher a rappelé qu'à ce stade, la commission persiste dans l'approfondissement et la mise en oeuvre des textes prévus dans le cadre du Green Deal, malgré les études alarmantes publiées sur les impacts pour la production européenne que pourraient avoir les textes en préparation. « La transition, d'accord, mais la résilience des exploitations et des exploitants, d'abord », a rappelé Yannick Fialip. Il a souligné au passage l'intérêt d'avoir obtenu le vote des lois Egalim qui sanctuarisent le prix de la matière première agricole dans les contrats. « C'était le bon moment au vu des hausses de coûts de production que nous subissons ». Encore faut-il que ces lois s'appliquent correctement : « nous avons encore du travail sur le sujet », admet-il.

Si au final, Jean-Baptiste Boucher a voulu rassurer grâce au fait que « certains textes seront aussi positifs pour l'agriculture sur la recherche ou la génomique par exemple », les perspectives de sortie de crise ne sont guère réjouissantes. Surtout dans un contexte où l'Europe semble maintenir ses objectifs environnementaux alors que le projet de Farm Bill américain pour 2023 prévoit une pause dans ces politiques au profit d'une hausse de la production.

 

UNE PARTITION DE L'UKRAINE ?

Car au-delà des enjeux alimentaires et économiques, la bataille qui se déroule sous nos yeux porte aussi un enjeu de puissance dans les équilibres internationaux. Pour Thierry Pouch, « dans l'hypothèse où la guerre se solderait par une partition de l'Ukraine avec une annexion de l'est du pays, elle conférerait à la Russie un potentiel d'exportation de 100 millions de tonnes de blé ». Pour mémoire, l'Union Européenne en exporte bon an mal an 25 à 30 millions dont 9 à 10 millions de tonnes de blé français, les États-Unis autant. « On s'oriente vers une russification des marchés agricoles mondiaux », a conclu Thierry Pouch.

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