« Au nom des animaux, va-t-on sacrifier les éleveurs ? »
Un débat réunissait, le jeudi 20 août, sur le plateau d’Arte, Etienne Gangneron, vice-président de la FNSEA, Brigitte Gothière, directrice de l’association L-214 et le journaliste Frédéric Denhez. Au menu des échanges : le bien-être animal, l’élevage, la consommation, le devenir des agriculteurs, la morale et le droit…
« Enfin un débat équilibré et qui remet l’église au milieu du village », serait tenté de dire le téléspectateur s’intéressant à la question du bien-être animal. En effet, l’émission Décryptages diffusée le 20 août sur Arte a rééquilibré un discours toujours bienveillant à l’égard des extrémistes de la cause animale. « Au nom des animaux, va-t-on sacrifier l’élevage ? » était la question centrale du débat, suite à la diffusion, par L-214, d’une vidéo dans un élevage de canards dans le Sud-Ouest.
Pour Etienne Gangneron, vice-président de la FNSEA, « on ne peut que condamner ces images, si elles sont vraies, véridiques et vérifiées. Comme dans toute société, il ya des personnes qui travaillent mal, avec des élevages en déliquescence, laissés à l’abandon. Ces élevages donnent une très mauvaise image de marque pour les 98 % des éleveurs qui essaient de travailler le mieux possible. C’est leur gagne-pain »,a-t-il indiqué. « La question de ces images n’est pas de savoir si elles peuvent blesser toute une profession. Ce qu’on souhaite montrer, c’est tout un système […] qui crée du malheur, pour les animaux et pour les éleveurs », a, de son côté, insisté Brigitte Gothière, directrice et porte-parole de L-214, dénonçant « les 80 % des animaux élevés sans aucun accès à l’extérieur ».
DISTANCIATION AVEC L’ALIMENTATION
Fustigeant certaines ONG et associations écologistes qui « ont choisi de travailler sur la question du bien-être animal contre les éleveurs au lieu de le faire avec », Etienne Gangneron a souligné que l’agriculture est devenue « un sujet minoritaire au début des années 2000 […] un sujet subalterne, supplanté par le numérique », comme l’a bien analysé le philosophe et académicien Michel Serres. Toujours selon le vice-président de la FNSEA, l’urbanisation fait aussi que le consommateur oublie la manière dont on fabrique un aliment, « parce que beaucoup s’en moquent, l’objectif étant d’avoir l’alimentation la moins chère possible ». Le journaliste Frédéric Denheza bonde dans son sens et remarque que « l’on vit dans une société d’urbains coupés des réalités actuelles », alors que dans une société rurale, « l’animal fait partie de la vie […]. On a un rapport charnel avec l’animal ». Soulevant un paradoxe, sinon une contradiction, Frédéric Denhez indique que les Français veulent du bien-être animal mais qu’ils achètent de moins en moins de viande chez le boucher mais plutôt « sous forme de viande dans les plats transformés[…] Or, cette viande incarne une distanciation absolue avec notre alimentation. C’est une viande qui n’est plus reliée avec notre alimentation, avec l’animal, ni avec la mort. C’est la porte ouverte à la viande de synthèse », a-t-il ajouté.
LA VIANDE : UN MARQUEUR SOCIAL
Ces éléments font que les agriculteurs, en particulier les éleveurs, se sentent « menacés » dans l’exercice de leur profession, s’est inquiété Etienne Gangneron, en raison d’une « poussée médiatique […] sur le thème de la condition animale ». Ils ont d’autant plus raison de l’être que Brigitte Gothière annonce que « les gens ne souhaitent plus d’élevages en cages, un système à bannir entièrement ». Elle s’interroge plus encore : « Est-ce que c’est bien légitime de faire tuer des animaux pour les manger alors qu’on n’en a plus l’utilité ? ». Analysant les propos de Brigitte Gothière, Frédéric Denhez cerne les intentions de l’association antispéciste : « Quand on tire le fil, la réponse de L-214, c’est d’abolir l’élevage, c’est abolir 12 000 ans de compagnonnage avec les animaux domestiques, c’est abolir une façon de faire des paysages. Or sans élevages, il n’y a pas de paysages ouverts, plus de services écosystémiques », a-t-il déclaré.
Pour l’auteur du récent ouvrage « La cause végane, un nouvel intégrisme ? », l’animal est devenu « un concept. Il est devenu anthropisé et humanisé avec l’animal domestique. Il est devenu mythifié avec l’animal sauvage. Entre les deux, l’animal de bétail n’est plus toléré parce qu’il est devenu un animal objet ». En fait, la viande est devenue un déterminant politique et sociologique au point qu’aujourd’hui « faire partie d’une élite consiste à ne plus manger de viande ». Cette dernière est même devenue un marqueur social. En effet, dans les milieux populaires et modestes, le peu d’argent qui reste est fait pour acheter de la viande. C’est pourquoi les personnes de ces milieux disent : « Laissez-nous au moins ça, sinon on est obligé d’avouer notre misère », témoigne Frédéric Denhez. Et ce dernier de conclure : « Oui le débat sur le bien-être animal est un débat moral. Et c’est un débat sans fin parce qu’il n’y a pas de réponse. Quant à faire un référendum sur ce sujet, c’est ouvrir une boîte de Pandore et c’est extrêmement dangereux ».