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Le « monde d’après », un retour au monde d’avant ?

Alors que la planète connaît une crise sanitaire sans précédent, les conséquences sur l’agriculture, l’alimentation et les échanges internationaux seront nombreuses. A travers une table ronde organisée par webinaire, l’Isara et Demeter ont essayé de comprendre à quels défis la France avait dû faire face au cours de l’épisode de confinement et les stratégies mises en place.

© DR:

L’agriculture et l’alimentationsont des secteurs dont l’aspect stratégique a été rappelé par l’éclatement de la pandémie de Covid-19. Ces activités dites prioritaires ne font pas exception à la phase de réflexion que connaît le« monde d’après ». Alors que la question des pénuries alimentaires refait surface et que l’on s’interroge sur la souveraineté et l’autonomie alimentaire de nos territoires, l’Isara et Demeter ont organisé, mardi 26 mai dernier, un webinaire lors duquel des chercheurs et des professionnels du secteur ont pris part. « On a redécouvert l’importance de l’alimentation avec l’épisode de la crise sanitaire mais elle est au coeur de notre quotidien. Cette crise a démontré la capacité des agriculteurs français à absorber les chocs et toutes les filières ont été mobilisées », explique Matthieu Brun, responsable des études et des partenariats académiques à Demeter, et chercheur associé à Sciences Po Bordeaux. Et d’avouer : « du bon fonctionnement de notre agriculture dépend aussi la stabilité du pays et donc de son approvisionnement alimentaire. Tous les pays n’ont pas ces mêmes garanties de stabilité, de diversité, et de qualité. Certains pays ont vu leurs systèmes alimentaires parfois déraillés. La crise a rappelé que la question alimentaire était donc stratégique. »

 

COMMERCE MONDIAL AU RALENTI

Durant la période de confinement, le commerce mondial a ralenti, du fait des enjeux logistiques et des décisions politiques. Pour exemple, Sodiaal a d’ordinaire une grosse activité à l’export en Chine pour la nutrition infantile et d’ingrédients laitiers. Si les chiffres ont été plutôt bons au premier trimestre, l’activité repart très, voire trop lentement. « C’est un impact très lourd pour la coopérative », avoue Frédéric Chausson, directeur des affaires publiques et des relations extérieures à Sodiaal. Au niveau local, « la filière céréalière a parfaitement joué son rôle sur les marchés locaux avec des ventes doublées lors de la première semaine de confinement. Mais il ne faut pas oublier le marché export : il était important de l’alimenter pour éviter des pénuries dans des pays forts consommateurs de céréales. L’agriculture française a ainsi pu faire face à l’ensemble des demandes sur le marché agricole », se satisfait François-Claude Cholat, président de la Maison François Cholat à Morestel (Isère). Si la pénurie des sachets d’un kilo de farine a longtemps inquiété les consommateurs, François-Claude Cholat s’explique : « Ces sachets de farine représentent 5% du marché en France. 50% proviennent des marchés extérieurs tels que l’Allemagne. La réduction des importations a posé problème. De plus, nous avons ressenti un changement de la demande. Les consommateurs achetaient moins de pain puisqu’ils le faisaient eux-mêmes, ce qui a entraîné cette pénurie ». De son côté, la filière laitière a connu une situation particulière. D’un côté, « l’activité en GMS a très bien marché en mars et avril, avec une vente de +30% pour le lait, le beurre et la crème », explique Frédéric Chausson. D’un autre, en tant que gros opérateur de fromages AOP, Sodiaal a connu une période catastrophique : « les consommateurs ont arrêté de manger des fromages AOP et la vente à la coupe dans les supermarchés a fortement chuté. De plus, la fermeture des bars, restaurants et cantines a effondré le marché. On estime cette perte à plus de 10 M€ », regrette-t-il. Des fromages AOP qui ont finalement été proposés sur les drives des GMS : « cela a eu un aspect positif même si les pertes de volumes restent considérables », note Frédéric Chausson, qui se satisfait toutefois de ne pas avoir eu à jeter de lait. « L’industrie a su s’adapter à ce changement de marché extrêmement violent », assure-t-il.

 

CHANGEMENT DE CONSOMMATION INEVITABLE

Selon Carole Chazoule, enseignante-chercheur à l’Isara, ce changement de consommation était inévitable « avec l’arrêt du secteur touristique et de la restauration collective ou commerciale. Cela a eu des impacts au niveau des territoires et a obligé les collectivités territoriales à chercher des solutions : développement des filières locales et réorientation des débouchés avec la mise en place de nouvelles plateformes de vente directe, soutien fort aux restaurateurs, soutien aux familles les plus défavorisées, etc. », a-t-elle souligné. « Il y a tout un réseau d’innovation qui a été mis en place, beaucoup d’apprentissages qui ont été faits très vite. Il faut apprendre à les pérenniser, dans le sens d’une plus grande durabilité, d’une plus grande résilience », conclut-elle.

Et après ?

« Que va-t-il rester dans les mémoires ? » s’interroge aujourd’hui Matthieu Brun. Si le monde agricole avant le Covid-19 baignait dans un agribashing incessant, la tendance a changé. « Les pratiques agricoles étaient souvent remises en cause. Or, depuis la crise sanitaire et la position forte qu’a démontré l’agriculture française lors du confinement, le regard des consommateurs a évolué. Ils avaient peur d’être empoisonnés, maintenant ils ont peur de manquer », poursuit-il. L’émergence du e-commerce et le développement des circuits courts ont changé la donne. « Les consommateurs ont montré de nouvelles attentes qui sont de consommer mieux, de consommer local et de consommer français, avec cependant une grosse incertitude, celle de devoir payer plus cher. On peut alors s’interroger sur les impacts à long terme et s’attendre, soit à une vraie révolution, soit à un retour à l’ancien monde… », prévient Matthieu Brun. En ce sens, la question de la souveraineté alimentaire et de la relocalisation de l’alimentation fait débat. « Depuis quatre ou cinq ans, nous voyons apparaître des systèmes intermédiaires alimentaires, avec une volonté des opérateurs et des acteurs politiques d’améliorer la souveraineté alimentaire de leurs territoires, c’est-à-dire d’augmenter la consommation locale », avance Carole Chazoule. Ces systèmes sont donc amenés à se poursuivre et à se développer, au-delà de la crise sanitaire. Malgré tout, « l’autosuffisance n’est pas possible », pense Matthieu Brun. Les enjeux du commerce international étant aujourd’hui bien trop importants, « celui-ci se faisant sur des denrées stratégiques ». Une réflexion partagée par l’ensemble des témoins de cette table ronde : « La construction européenne est quand même très fortement basée sur le marché unique. Si nous touchons à ce concept, nous risquons d’affaiblir le concept politique. Je suis donc assez vigilant sur le terme de souveraineté alimentaire, cela ne me paraît pas cohérent avec la notion d’Europe telle qu’elle est aujourd’hui », avance Frédéric Chausson. Pour François-Claude Cholat, le son de cloche est le même : « il ne faut pas oublier l’exportation qui est un moyen de rayonner à travers le monde et de couvrir les besoins ».

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