Loin de Paris.
Rendre visible le quotidien des territoires ruraux. Tel est l'objectif de l'ouvrage coordonné par Salomé Berlioux et Félix Assouly, tous deux membres de l'association Rura, ex-Chemins d'avenir.

La première en est la fondatrice quand le second est directeur du plaidoyer. Ils ont fait appel à 26 auteurs, hommes et femmes, qui chaque jour vivent à la campagne, loin des bruits de la ville, à des " années-lumière " du métro-boulot-dodo parisien. Mais les deux coordonnateurs refusent l'emploi du terme " campagne " lui préférant celui de " territoires ". Certes, aucun village français ne ressemble à un autre et d'ailleurs qu'importe la sémantique. Ce qui compte, ce sont les témoignages réels parfois crus, de ceux qui y vivent ou qui y ont vécu. Aucun d'entre eux n'est écrit sous le sceau de l'artificialité et les principaux thèmes des freins et des joies de la ruralité sont pesés, traités, analysés. Chacun y va de son couplet sur la mobilité (" Dans ma bagnole "), sur l'envie de découvrir d'autres horizons (" Rester, partir, revenir ? " ; " Quitter tout pour elle "), sur la contribution du sport à la vie locale (" Crampons, ruralité et lien social "), sur la difficulté d'y exercer un mandat d'élu (" Madame le Maire ") ou la fonction de médecin (" Médecin de campagne "). Les neuf pages qu'a rédigées sous forme de lettre à un confrère Jean-Jacques Brousse, membre de l'ordre des médecins de la Creuse, sont à la fois graves et rafraîchissantes. Graves parce qu'il pointe la déliquescence du système de santé dans nos territoires, la fermeture des hôpitaux, puis des cabinets médicaux, l'éloignement des médecines spécialisées (obstétrique, ophtalmologie...), les risques que la distance fait courir aux malades. Cette gravité se tient aussi dans " la fatigue des travailleurs, la peine des endeuillés, la lassitude des vieux (...) " et aussi " dans une certaine misère rurale, qui n'a pas d'équivalent en ville ". Le récit du médecin est cependant rafraîchissant, par sa sincérité, son empathie (mais sans pathos) et dans le fait que la médecine de campagne qui tend à disparaître reste, contre vents et marées, une " médecine de l'humain ".
Tranches de vie
La ruralité ne se réduit pas à l'agriculture. Comme l'a confié Salomé Berlioux à nos confrères du Figaro*, " en réduisant les territoires aux agriculteurs, Paris invisibilise 94 % de ses habitants ". Ceux qui font vivre les territoires sont aussi les chefs d'entreprises locaux (buralistes, coiffeurs, boulangers, bouchers-charcutiers...) et les services publics quand ceux-ci parviennent à survivre aux coupes budgétaires. " Ce qui était tangible et visible dans chaque commune a été effacé, déplacé, fermé, dématérialisé, réduit, affaibli, débordé, dépassé, évaporé ", témoigne Émilie Agnoux, fonctionnaire en collectivité territoriale, à propos de ces services publics. Elle explique pourquoi et comment les femmes sont les premières victimes de leur disparition. Car dans une immense majorité, le niveau de vie est insuffisant pour pallier les manques dans la ruralité, toutes les problématiques qui se posent aux femmes à l'échelle nationale apparaissent décuplées, elles qui portent l'essentiel de la charge mentale et opérationnelle liée aux enfants ou aux tâches administratives. À l'image d'autres ouvrages** et d'autres rapports, ce livre qui dévoile de belles tranches de vie pleines de vitalité, de réflexions et de satisfactions, pose un très bon diagnostic des maux de la ruralité où se concentre encore (selon la définition de l'Insee), près de 80 % de la population. Il reste à trouver les solutions pour que ces territoires ruraux vivants deviennent plus visibles et attractifs. Ce qui n'est pas un petit défi !