Méthanisation : pour une agriculture plus résiliente et décarbonée.
Simon Babre, préfet de l’Eure, a inauguré vendredi dernier à Vexin-sur-Epte, l’unité de méthanisation « Les grands chênes ». Pour Grégoire, Cyrille et Guillaume, les trois agriculteurs associés auxquels il convient d’ajouter Engie Bioz, cet investissement de 8 M€ s’inscrit « dans la continuité de nos exploitations ».
C’est au Campus de l’Espace, à Vernon (27), qu’arrive le gaz produit par « Les grands chênes ».
Un raccordement de 6 km qui permet de fournir en énergie l’équivalent de 2 200 foyers tout en économisant 4 200 t de CO2. L’idée a germé en 2019 et les travaux ont démarré en 2022 pour une mise en service le 23 mars 2023. La consultation publique a cristallisé quelques oppositions, mais la ténacité de Guillaume André (Heudicourt), Cyrille Dieryck (Tilly) et Grégoire Forzy (Gamaches-en-Vexin) a fini par l’emporter.
« Nous avons eu en face de nous de vrais opposants, mais l’inquiétude est légitime. Il nous a fallu expliquer et rassurer. Notre choix prioritaire était d’être les plus éloignés possibles des premières habitations. » A quelques minutes de recevoir Simon Babre (préfet de l’Eure) pour l’inauguration officielle, Guillaume, Cyrille et Grégoire retracent leur périple en mettant le doigt là ou d’autres projets patinent face à la multiplication des recours, qu’ils soient portés à titre individuel ou collectif. Certes, « Les grands chênes » n’a pas constitué qu’un long fleuve tranquille, mais le projet a abouti dans un délai raisonnable. Il est vrai que l’unité de méthanisation, nichée en cœur de plaine dans un triangle de trois villages, ne gâche la vue de quiconque. Quant aux quelques effluves dégagés par la fermentation naturelle des fourrages, elles se perdent très vite dans les vents portants du Vexin.
LE PLUS ELOIGNE POSSIBLE
Fumeurs ou pas, nos trois agriculteurs ont croisé leur destin dès 2017 autour de la culture du tabac. Ils ont poursuivi alors leur réflexion collective avec un constat : Cyrille est un éleveur allaitant (Limousin) avec un gisement de fumier important. Grégoire est un pionnier de la petite méthanisation à la ferme. Guillaume disposait d’une solide expérience dans les travaux publics. « Nos profils sont assez complémentaires et ce projet de méthanisation faisait sens par rapport au réchauffement climatique et à l’économie circulaire. Il s’inscrivait de plus dans la continuité de nos exploitations », se justifient-ils. Ils disposent chacun de 25 % du capital. Le dernier quart, c’est Engie Bioz qui l’assume. Filiale d’Engie, Engie Bioz initie, développe, finance, construit et exploite avec les acteurs locaux des unités de méthanisation. Elle s’affirme comme « le leader de la transition zéro carbone dans le cadre d’un système énergétique décarboné, flexible, optimisé et sécurisé ». « Les grands chênes » a également bénéficié du soutien de Seine Normandie Agglomération qui regroupe 61 communes. « Seine Normandie Agglomération a été retenue par la Région Normandie et l’ADEME pour développer une stratégie de réduction de 50 % de la consommation d’énergie d’ici à 2040 et de développement des énergies renouvelables avec pour objectif de couvrir les besoins énergétiques du territoire à 100 % par des énergies renouvelables. SNA travaille ainsi sur trois axes : la sobriété énergétique, l’efficacité énergétique et la production d’énergies renouvelables », peut-on lire sur son site. Ceci explique cela. Guillaume, Cyrille et Grégoire n’oublient pas non plus de citer la Chambre d’agriculture dans son accompagnement ICPE (Installation Classée Protection de l’Environnement). Ce sont au total 8 M€ qui ont été investis avec une aide de l’UE (Union européenne) de 1,351 M€ et de la Région Normandie à hauteur de 960 000 €.
LA REGLE DES 3 TIERS
Pour alimenter l’unité qui consomme 80 t de matière première par jour, « Les grands chênes » s’appuie pour tiers sur les effluents d’élevage (cinq apporteurs), un autre tiers avec les cultures dérobées, CIVE (Culture Intermédiaire à Vocation Energétique) et cultures dédiées (dans la limite de 15 %). Le dernier tiers est constitué par les gisements de la transformation agricole comme la pulpe de betteraves ou des eaux de brasseries.
Deux modes de fonctionnement cohabitent avec les fournisseurs : la relation commerciale classique ou l’échange matière première contre digestat. Sur ce territoire où l’élevage a en grande partie disparu, le volet agronomique revêt une importance capitale « en diminuant notre dépendance aux engrais de synthèse. Cela nous permet aussi de faire de l’ensilage de maïs et donc de diversifier notre assolement ». Un maïs ensilage qui ne vient pas perturber les équilibres existants. « Il ne faut pas avoir peur. On produit la moitié de nos intrants sur nos exploitations et la filière méthanisation aura toujours besoin des éleveurs. Les inquiétudes se lèvent une à une. Il faut simplement trouver des synergies nouvelles. »
Un cercle vertueux en résumé à condition que « tout se fasse en proximité ».