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« Non, l’élevage n’est pas responsable du Covid-19 ! »

La tribune de Bernard Vallat, vétérinaire et directeur général honoraire de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) : « Il serait souhaitable que les investissements nécessaires pour renforcer la biosécurité de nos élevages et de notre faune sauvage soient largement éligibles aux subventions communautaires découlant du Green Deal ».

Des millions d’espèces de virus circulent dans la nature. Les plus dangereux pour l’homme sont ceux avec
qui il n’a jamais eu de contact.
Des millions d’espèces de virus circulent dans la nature. Les plus dangereux pour l’homme sont ceux avec
qui il n’a jamais eu de contact.
© PIXABAY

Les origines de la pandémie qui affecte toute notre planète font l’objet de débats passionnés qui comportent même des adeptes de théorie du complot. Les décideurs politiques ainsi que leurs opposants se positionnent déjà et font le lien entre les causes supposées de l’apparition du virus et les contenus des politiques qu’ils s’apprêtent à proposer pour l’après crise. Je retiens par exemple une déclaration récente de la présidente de la Commission européenne pour qui le contenu de la Politique agricole commune en préparation, qui a pour fil conducteur le « Green deal », constituera un rempart pour préserver l’Europe de crises similaires à l’avenir. Il y aurait donc un lien entre les modes de production agricole actuels et l’apparition du virus ?

 

ORGANISMES VIVANTS

Les virus sont des organismes vivants qui ont pour préoccupation essentielle de survivre en assurant leur multiplication chez les êtres vivants. Ils présentent la particularité de ne pouvoir se multiplier qu’en pénétrant dans la cellule d’un organisme vivant, animal ou végétal, et ils imposent à cette cellule de les répliquer en les synthétisant à l’identique, chaque cellule pouvant, avant de mourir, en fabriquer des centaines, alors que des milliers de cellules d’un organisme peuvent être attaquées en même temps. L’organisme infecté par le virus meurt si un nombre trop important de ses cellules sont ainsi détruites. Les organismes vivants se défendent le plus souvent de deux manières contre les virus auxquels ils sont sensibles, sachant que les virus sont hautement spécialisés sur les cibles vivantes qu’ils visent :

1) lorsqu’un organisme a été encontact dans le passé avec un virus, il fabrique des substances appelées anticorps qui peuvent neutraliser les virus ;

2) les globules blancs circulant dans le sang s’attaquent aux corps étrangers, mais seulement quand ils ont appris à les reconnaître.

Ainsi, les stratégies de prévention des maladies microbiennes chez l’homme et l’animal par l’usage de la vaccination consistent à créer l’apprentissage de l’organisme sans déclencher la maladie, par exemple en utilisant des virus ayant été affaiblis en laboratoire. Mais les virus ont plusieurs tours dans leur sac pour tromper la vigilance des globules blancs ; ils savent en effet changer continuellement de costume pour ne pas être reconnus.

 

DES MILLIONS D’ESPÈCES DE VIRUS CIRCULENT DANS LA NATURE

Les plus dangereux pour l’homme sont ceux avec qui il n’a jamais eu de contact. Ainsi, lors de leur réplication dans les cellules qu’ils infectent, les protéines qui constituent les briques de leurs gènes se modifient et se réassemblent continuellement : c’est ce qu’on appelle la mutation. Les virus savent aussi coopérer entre eux en échangeant leurs gènes, par exemple quand deux virus différents arrivent à pénétrer en même temps dans la même cellule. C’est ce qu’on appelle le réassortiment. Les virus n’ont pas intérêt à tuer trop vite leur cible car un organisme mort ne permet plus leur reproduction. Leurs mutations, toujours aléatoires, et leurs réassortiments conduisent parfois à l’apparition d’individus nouveaux très agressifs et candidats pour générer des pandémies. Des millions d’espèces de virus circulent dans la nature. Les plus dangereux pour l’homme sont ceux avec lesquels il n’a jamais eu de contact et qui possèdent le code qui leur permet d’entrer dans une cellule humaine qu’ils parviennent à approcher, par exemple par le nez, la gorge ou le poumon. Ils acquièrent ce code par différents mécanismes dont certains reposent sur le passage entre plusieurs animaux successifs différents.

 

CHAUVE-SOURIS ET PANGOLIN

Plusieurs sources scientifiques sérieuses et concordantes indiquent que l’origine du Covid-19 serait une espèce de chauve-souris vivant dans un écosystème situé en Chine et qui hébergeait le virus initial sans qu’elle en meure, et qui l’aurait transmis au pangolin (ces deux espèces sont insectivores). Le virus s’est transformé chez le pangolin sans le tuer non plus, mais est devenu, par le jeu des mutations ou réassortiments aléatoires, capable de pénétrer dans certaines cellules de l’homme, tout en ayant acquis la redoutable caractéristique de permettre une forte contagiosité d’homme à homme. Cela faisait plus d’un siècle que l’on n’avait pas eu affaire à un tel « individu», le dernier en date étant celui de la grippe espagnole qui aurait eu un oiseau pour origine et qui aurait tué plus de 50 millions de personnes dans le monde. De nombreuses espèces de chauve-souris vivent en symbiose avec une quantité considérable de virus candidats à devenir pandémiques, surtout quand ces chauves-souris ne sont pas en contact fréquent avec l’homme qui n’a donc jamais appris à s’en défendre. Mais il suffit que leur milieu soit perturbé, et qu’elles se rapprochent de ce fait d’autres animaux ou de l’homme, pour que leur virus ait des opportunités de s’attaquer à de nouveaux organismes et créer ainsi des patrimoines génétiques particuliers pouvant devenir dangereux, notamment pour l’animal domestique ou l’homme. Plusieurs maladies redoutables liées à ce contexte ont ainsi fait leur apparition ces vingt dernières années : le virus Nipah en Malaisie, transmis au porc par des chauves-souris chassées de leur milieu par la déforestation, avec à la clef 300 personnes décédées et la quasi-disparition à l’époque des porcins dans ce pays ; le SRAS, qui a tué plus de 800 personnes dans le monde et qui provient probablement d’une modification du virus d’une chauve-souris chinoise par un passage par la civette ; le virus du MERS, suspecté de provenir de chameaux infectés par une chauve-souris et qui a tué des centaines de personnes au Moyen-Orient. Enfin, n’oublions pas la terrible épidémie récente d’Ebolaen Afrique de l’Ouest, elle aussi liée à la chauve-souris via les grands singes. La transmission initiale du Covid-19 à l’homme ne s’est probablement pas faite par voie alimentaire, le virus étant détruit par les acides de l’estomac, mais par manipulation d’animaux sauvages

 

BIOSÉCURITÉ DES ÉLEVAGES

On sait que la transmission initiale du Covid-19 à l’homme ne s’est probablement pas faite par voie alimentaire, le virus étant détruit par les acides de l’estomac, mais par manipulation d’animaux sauvages infectés en incubation ou porteurs sains, le plus souvent sur des marchés où ces animaux exotiques sont proposés à la vente. Ceux qui les manipulent s’infectent certainement en portant leurs mains à leur visage. On sait aussi que les animaux d’élevage n’ont joué aucun rôle dans l’apparition de ces virus tueurs. Il est donc saugrenu de vouloir faire un lien entre l’élevage et cette maladie, ou de justifier le contenu du futur Green Deal communautaire comme outil de prévention de catastrophes sanitaires à venir. Il serait par contre hautement souhaitable que tous les investissements nécessaires pour renforcer la biosécurité de nos élevages et de notre faune sauvage soient largement éligibles aux subventions communautaires découlant du Green Deal. Cela serait beaucoup plus concret que de parler du concept de la biodiversité sans donner de précision sur les actions prioritaires à conduire pour la préserver. Je recommanderais aussi de mieux contrôler la commercialisation de certaines espèces exotiques, comme vient apparemment de le décider la Chine ainsi que plusieurs pays d’Afrique, et de procéder systématiquement à des recherches sur les virus des chauves-souris partout où elles se trouvent dans le monde. A titre d’exemple, j’avais proposé et obtenu, lorsque je dirigeais l’OIE, un financement important de l’Union européenne pour établir la cartographie de la présence éventuelle du virus Ebola chez la chauve-souris dans les pays à risque en Afrique. C’est ce type de recherche qui contribuera à nous préserver d’autres pandémies et non les procès à l’encontre des animaux domestiques et de leur élevage. En conclusion, méfions-nous des faux savants qui véhiculent des contre-vérités pour vendre leur idéologie ou rester à la mode.

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