Porc : un effet ciseau dévastateur.
Le porc dans l’Eure, c’est 76 000 cochons produits par an par 25 ateliers enregistrés. Dans le détail, moins d’une dizaine de porcheries couvrent 90 % de la production annuelle. Des outils victimes de la double peine : des cours atones, mais une envolée du prix des matières premières. Décodage avec Samuel Blaisot de la FNSEA 27.
Depuis quand produit-on des porcs sur votre exploitation ?
À l’occasion des quotas laitiers, mes parents ont fait le choix d’arrêter la production laitière pour se tourner notamment vers la production porcine avec 80 truies en système naisseur/engraisseur. En 2000, l’effectif est monté jusqu’à 320 truies pour retomber aujourd’hui à 270.
Pourquoi cette diminution du cheptel ?
Mon objectif est de produire ce que l’exploitation est capable d’engraisser. Valoriser le porcelet excédentaire sur le marché sans contrat, c’est compliqué.
La filière porcine a souffert de la crise sanitaire engendrée par la Covid 19 ?
Cet épisode, qui n’est pas fini, a bouleversé la consommation de viande porcine en restauration collective. Un secteur qui valorise les bas morceaux comme le sauté de porc. Tout cela a pesé sur les cours dès avril/mai, avec le coup de grâce en octobre pour cause de PPA (Peste Porcine Africaine) en Allemagne.
À quel niveau ?
On est passé de 1,55 € début 2020 à 1,37 € en mai. Les cours sont remontés un peu après pour plonger à nouveau avec la PPA. En ce début 2021, nous démarrons à 1,20 €.
Une situation rendue encore plus compliquée avec la hausse des matières premières ?
C’est effectivement la double peine. Nous subissons de plein fouet un effet ciseau. Il faut savoir que 70 % du coût de production d’un porc, c’est l’alimentation. L’envolée des cours du soja (de 350 € à 550 €) combinée à celle du blé (230 € Rouen) conduit à des trésoreries qui fondent à vue d’œil.
Si on voulait illustrer concrètement ce manque à gagner ?
On peut raisonner au niveau d’un camion : 190 cochons x 95 kg x 30 centimes de moins. Cela représente un manque à gagner de 5 400 €, alors que nos coûts de production ont augmenté. Je suis personnellement moins impacté parce que je fabrique mes aliments à la ferme. Je tamponne avec mes propres céréales, mais la situation n’est pas tenable à court terme.
Les Egalim n’ont rien changé ?
C’est le gros problème d’une filière qui ne veut pas prendre en compte le coût de production. Il nous faudrait à ce jour 1,50 €.
Quelle est dans ce contexte la solution pour passer le cap ?
On serre tous les crans, mais on va très vite arriver au bout, d’autant plus que les exigences qui nous sont imposées en terme de biosécurité génèrent également des coûts supplémentaires : double clôture extérieure, étanchéisation des ateliers, murs de 1,50 m de haut pour éviter le contact avec des sangliers, mise en place de plan de circulation pour ne pas se croiser...
Le bien-être animal alourdit également la facture ?
Il est incontournable parce que les groupements veulent étiqueter VPF (Viande Porcine Française) alors chaque place a sa pipette et son jouet : 5 € pour l’un et autant pour l’autre et plus de travail au quotidien pour l’éleveur.
Autre sujet d’actualité : la castration. Quelle est votre position ?
C’est un gros problème qui oppose les éleveurs et les abatteurs, mais qui devra trouver son épilogue à la fin de l’année. Personnellement, je suis favorable à l’arrêt de la castration. Moins on stresse nos animaux, mieux c’est. Le problème, c’est « comment valoriser les 3 à 4 % de porcs qui poseront problème car trop odorants ? » Je pense que la filière est capable de trouver des solutions.
Et pourquoi pas l’anesthésie plus poussée ?
Nous avons fait beaucoup d’efforts pour supprimer les antibiotiques. L’anesthésie plus poussée constitue un contre sens.
A moins que le consommateur n’accepte un goût plus prononcé ?
Il ne faut pas confondre le consommateur et le concitoyen qui se comporte en client au bout de la chaine. Les agriculteurs, éleveurs et céréaliers, ont consenti beaucoup d’efforts pour s’adapter. Au consommateur de faire un pas en avant pour pérenniser cette production.
Sinon ?
On n’a quasiment plus d’industrie textile en France, mais on a toujours de quoi s’habiller...
Le problème du renouvellement des générations risque de se poser ?
Pour reprendre un outil existant, c’est déjà compliqué vis-à-vis des banques, alors créer un outil neuf, oubliez tout de suite ! D’autant plus qu’il faut y ajouter la difficulté d’acceptation par la société de la production porcine qui n’a pas bonne presse. C’est dommage parce que le porc constitue un atout pour la ferme départementale. Dans l’Eure, nous produisons des céréales et disposons de surfaces d’épandage. Les planètes sont alignées, mais il manque un prix et une rentabilité pour s’inscrire dans la durée.
La solution, ce n’est pas le bio ?
Le bio se développe en France, mais on arrivera très vite à saturation de la demande des consommateurs. Autre élément à considérer, en lait par exemple, on peut passer assez facilement du conventionnel à l’AB. Pas en porc, il faut partir d’une feuille blanche. C’est plus compliqué.