Quand céréaliculture et aviculture font bon ménage.
Quand Alain Delalonde s'est installé en 2011 à Juignettes (27) avec ses parents (Bruno et Nelly), la surface céréalière n'était pas suffisante. Il s'est alors lancé dans la volaille de chair. Plus de 10 ans plus tard, toute la famille vante les mérites d'une double activité complémentaire. En amont et aval de la filière, on cherche de nouveaux producteurs.
« Faire de la volaille chez nous, ce n'est pas une diversification, mais une complémentarité avec notre activité céréales. » Autour du café et après une moisson et une récolte de lin compliquées, Bruno Delalonde et son fils, Alain, soufflent un peu. « C'est une rentrée régulière de trésorerie, un peu comme la paie de lait, qui permet d'amortir le choc en cas de gamelle dans la plaine », apprécie Bruno qui, jadis, était à la tête d'un atelier lait de 200 vaches.
UN PREMIER BATIMENT PUIS DEUX
La bonne aventure démarre en 2011. Alain souhaite s'installer après avoir tâté « de la chèvre, des vaches laitières, du porc, mais pas de volaille » au cours de son cursus scolaire. Mais l'exploitation familiale, que gèrent Bruno et Nelly et dont le siège est à Juignettes (27), n'est pas suffisamment grande pour l'accueillir. « Cela faisait 20 ans que je voulais monter un poulailler, c'est plus souple que les vaches laitières », se souvient Bruno. La fibre paternelle va se transmettre au fils. Alain lui emboîte le pas et relève le défi. Un premier bâtiment de 1 350 m2 sort de terre en 2011. Un second de 2 000 m2 6 ans plus tard avec un changement de partenaire entre les deux.
700 000 EUR d'investissement au total, mais un coût maîtrisé grâce à un terrain plat et une alimentation électrique déjà présente. Un outil au top aussi de la technique avec station d'alimentation et terrasse intérieure. Au quotidien, les deux bâtiments représentent « 3/4 d'heure de travail, tout est automatisé. Le gros du boulot, c'est au moment du vide sanitaire avec une semaine de nettoyage pour l'ensemble. » Il y a aussi le ramassage, un peu chronophage, et qui se fait en équipe. Reste encore une présence plus vigilante à la mise en place des lots, peu de droits à l'erreur dans ce domaine.
3/4 D'HEURE PAR JOUR
A Juignettes, le nerf de la guerre, c'est l'organisation du travail. Tout a été pensé pour que les pointes de travail, volaille et céréale, ne se télescopent pas. Un lot de dindes (19 semaines) et 7,5 lots de poulets (35 jours maximum) s'enchainent au cours de l'année. Le choix de la dinde en juillet, même si elle représente plus de travail que le poulet en termes de nettoyage, c'est pour disposer de plus de temps de la moisson jusqu'aux semis.
Certes, Alain n'est pas complètement maitre du temps. Le planning est établi par Huttepain Aliments (son fournisseur) en fonction des besoins de LDC (l'abatteur), un des leaders européens de la volaille (7 500 éleveurs dont 6 200 en France et 93 sites de production). On est en plein coeur de l'intégration, mais, pour Bruno et Alain, ce n'est pas un gros mot. « Nous n'avons aucune avance de trésorerie à réaliser, jamais une ouverture de crédit... Nous sommes rémunérés par rapport à notre travail. Si on gère bien et que l'on est bon techniquement, on gagne notre vie... » Seule ombre au tableau, « le prix de l'énergie qui commence à piquer un peu », mais les équilibres économiques se négocient au cas par cas entre les différents partenaires pour une contractualisation résiliente. In fine, « oui » à l'intégration et « oui » à l'interaction. Si l'activité volaille a permis l'installation d'un jeune tout en lui laissant du temps pour vaquer à d'autres occupations, elle est aussi agronomiquement pertinente.
DE L'INTEGRATION A L'INTERACTION
Elle permet de valoriser en fumier 160 t de paille par an en alimentant une unité de méthanisation collective située à une dizaine de kilomètres. Le digestat permet de s'affranchir des mauvaises odeurs au moment de l'épandage et de « limiter les intrants. En fumure de fond, nous sommes désormais autonomes », se félicite Bruno.
Dans ce cercle vertueux, il reste des places et des trains à prendre. « La France dispose d'une très belle filière. Les abattoirs ont fait d'énormes investissements ces dernières années et le marché est porteur, surtout en premier prix », insiste Philippe Lapie, en charge du développement de nouveaux ateliers au sein de Huttepain Aliments. L'enjeu à court terme est de satisfaire les besoins des outils d'abattage et de découpe en créant de nouveaux ateliers de production (poulet, dinde, pintade) tout en essayant, à minima, d'assurer le renouvellement des générations quand cela est possible. L'objectif de 50 000 à 60 000 m2 est parfois évoqué. « Pour lancer un projet comme celui des Delalonde, c'est 3 ans de réflexion et de délais administratifs », insiste Philippe Lapie. Le profil « céréalier » lui plaît bien. « Quelqu'un de carré avec ses cultures le sera également en productions animales. » Une rentrée d'argent régulière et l'assurance d'être payé dans le cadre d'un système d'exploitation plus résilient qui s'amortit sur un peu plus de 10 ans, voilà de quoi séduire. Mais Philppe Lapie de préciser encore « ça ne peut pas relever une exploitation qui va droit dans le mur ». Et même pour une structure économiquement droite dans ses bottes, l'aboutissement d'un tel projet ne constitue pas un long fleuve tranquille. Le bio ou le label rouge ferraillent déjà à s'implanter alors le standard... Le citoyen n'en veut pas au pied de sa porte, mais le consommateur le réclame dans son assiette. On n'est pas à une contradiction près. Dans cette partie de billard à trois, c'est au politique de monter au créneau. Tout projet répondant à la législation en vigueur doit aboutir dans des délais raisonnables. Les « contres » ou « antis » ont le droit de s'exprimer et d'argumenter, mais il faut savoir siffler la fin d'une partie. Partie de poker menteur parfois !