Irrigation : le partage de l’eau en question.
« Quel avenir pour l’irrigation dans un contexte de changement climatique ? ». Tel était le thème de la table-ronde que l’association des irrigants de France a organisée le 10 novembre dans le cadre du congrès de l’Association générale des producteurs de maïs (AGPM). Le débat, parfois vif, a montré que la question de l’eau sera l’un des enjeux agricoles majeurs des prochaines décennies.
C’est ce qu’on pourrait appeler prosaïquement, « jeter un pavé dans la mare ». Membre du Conseil général de l’environnement et du développement durable (CGEDD) qui dépend du ministère de la Transition écologique, Bruno Cinotti, a clairement affirmé devant les 500 congressistes présents que l’eau était réservée prioritairement à deux usages : la distribution de l’eau potable et la chaîne de production des centrales nucléaires. « C’est inscrit dans la loi. L’agriculture n’est pas prioritaire ».
Les remous dans la salle ont été à la hauteur de l’incompréhension des agriculteurs pour qui nourrir les hommes est aussi fondamental que les faire boire ou leur procurer de l’énergie. « Je rappelle que des arrêtés sécheresse ont été pris avant même les périodes d’irrigation », a d’ailleurs rappelé le président de Irrigants de France, Éric Frétillère soulignant qu’il n’y avait « pas de cause à effet », c’est-à-dire que la sécheresse n’était pas due aux prélèvements dans la nappe phréatique. « Il faut répéter qu’on n’irrigue pas pour le plaisir, mais pour vivre, pour les marchés qui nous le demandent et aussi pour répondre aux besoins de la filière », a insisté Daniel Peyraube, président de l’AGPM.
Multiplication des études d’impact
Les irrigants souhaiteraient surtout qu’on leur enlève cette image de gaspilleur, de destructeur de la nature et qu’au contraire, on valorise les efforts qu’ils font au quotidien pour la collectivité. Ils ont en travers de la gorge la destruction de la retenue d’eau de Cramchaban (Charente-Maritime), le 6 novembre. « Inacceptable, inadmissible », s’est énervé Éric Frétillère qui demande que les personnes mises en cause soient « jugées et condamnées ». D’autres contentieux comme le lac de Caussade ou le barrage de Sivens ont également été évoqués. « J’espère que sur ce dernier, on va aboutir », a laissé entendre Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité au ministère de la Transition écologique. Les irrigants sont également excédés qu’on leur dise de s’adapter au changement climatique. « On le fait tous les jours, mais on n’y avait pas pensé », a ironisé un agriculteur dans la salle. Ils sont également exaspérés des freins et recours juridiques imposés par une minorité, par la multiplication des études d’impact complémentaires et par les « réunions de consensus interminables », a dit Pierre Sivens, président de la Fédération nationale de la production de semences de maïs et de sorgho (FNPSMS). « Le consensus doit avoir une fin », a-t-il expliqué rapportant que son Projet de territoire pour la gestion de l’eau (PTGE) était bloqué par huit environnementalistes et qu’il risquait de repartir de zéro ... après plusieurs dizaines de réunions !
Volumes réduits
Le Varenne de l’eau et du changement climatique, notamment sa thématique n°3 chargée des besoins et de l’accès aux ressources en eau, pourrait apporter des solutions concrètes pour l’avenir. « On aura le droit d’irriguer, mais pas n’importe comment », a prévenu Olivier Thibault. Le moindre des paradoxes est que « l’agriculture est le seul secteur d’activité économique à avoir besoin d’eau quand il y en a le moins », a ajouté Bruno Cinotti. Chacun semble s’accorder sur le fait « qu’il n’y aura pas qu’une solution », a expliqué Éric Frétillère et que la répartition des usages devrait s’effectuer au niveau des territoires. « A condition de définir ce qu’est un territoire », a ironisé le président des irrigants.
Et si le ministère de la Transition écologique explique que les quantités ne sont pas en cause parce que les volumes d’eau devraient rester identiques voire légèrement augmenter selon Jean Jouzel, membre du GIEC, il faut que les irrigants en particulier s’attendent à voir leurs volumes réduits. Pour conserver leur potentiel de production, les agriculteurs pourraient se retourner vers les NBT, avec le seuil d’acceptabilité sociale que ces nouvelles technologies réclameront. « La solution sera fondée sur la science et pas uniquement sur la nature », a affirmé Éric Frétillère. « L’irrigation de demain sera forcément collective et les agriculteurs devront fournir des efforts », a de son côté indiqué Yves Granger, ancien membre du Conseil général de l’agriculture.